Tachkent 1



Chaque atome sur terre
Fut une joue de soleil, un front de Vénus.
La poussière qui se pose sur ce front délicat, essuie-là doucement :
Elle fut, elle aussi, visage et chevelure d'un être fragile.
Omar Khayyâm



Ouzbékistan, Samarcande, Registan, Cher-Dor, © Louis Gigout, 1999
Samarcande, Régistan, Médersa Cher-Dor (1619-1635).




Samedi, 17 juillet 1999. 21 heures à ma montre, heure de Paris. Quelque part au dessus de la mer du Nord, à moins qu'il ne s'agisse de la Baltique ou de la Pologne, dans un Airbus A310 en direction de Tachkent. Dans l'avion, des Européens, des Asiatiques, des femmes brunes et sombres, des hommes en djellaba. Sur la banquette devant la mienne, un couple entre trente et quarante, un homme de mon âge, seul, et un barbu qui semble connaître tout le monde. La stratosphère est encore toute lumineuse, d'un bleu pur qui s'étend sur la masse moutonneuse grise et blanche, tendue ça et là de sphaignes incertaines glissant entre deux eaux. Je suis du côté du soleil qui descend lentement. La vidéo de bord diffuse un spectacle de variétés russes. Les hôtesses sont blondes et austères. Uzbekistan Airways. L'atterrissage à Tachkent est prévu vers 4 heures 30, heure locale. Il va falloir attendre le lever du jour avant de me rendre au Lokomotiv, l'hôtel que m'a recommandé Ary. Le sympathique gérant du club Cæsar fait le lien avec les services consulaires de l'ambassade d'Ouzbékistan à Paris et n'est pas avare en conseils et en offres de service. Il n'a pas insisté quand je lui ai dit que je me contenterais d'un vol sec et m'a donné quelques adresses dont celle de l'hôtel Lokomotiv situé comme de juste à côté de la Gare centrale. вокзал (voksal) en russe. Le visa a été obtenu facilement moyennant la présentation d'un "voucher" délivré par l'agence d'Ary. Ce papier, pour l'obtention duquel il faut débourser 200 francs, est un souvenir de la soviétique Intourist (organisme d'état de l'URSS qui gérait les agences de touristes, un réseau d'hôtels, des restaurants et des moyens de transport). Il certifie que les modalités du séjour sont arrêtées, les hôtels réservés et payés car il n'était pas question de laisser le voyageur improviser une fois sur place. Je n'ai rien réservé mais le voucher d'Ary fait office d'invitation et donne droit au visa.

22 heures. On vient de nous servir un repas convenable (3 grammes de crudités, une barquette de mouton-riz au curry et une mini portion de cake) arrosé d'un demi-verre de vin rouge doux. Je savoure en pensant que je vais bientôt débarquer dans un pays ex-soviétique au nom étrange dont je ne connais rien et que j'étais incapable encore y a peu encore de situer sur une carte. Le crépuscule est là. Il n'y a plus de nuages dans le ciel souverain qui abandonne peu à peu son empire à la nuit.

Dimanche, 4 heures (heure locale). Nous approchons de Tachkent où nous devrions nous poser dans une heure. Une lueur hésite à l'est. Les formes au sol demeurent indistinctes. Aucune lumière ne perce l'obscurité. Terre et ciel sont d'une même encre noire. Peu à peu, le velours du sol se dessine et le ciel grisaille. Puis il se réchauffe d'un brun acajou intense avant de tourner à l'orange. Le jour est là.

L'aéroport international de Tachkent est encore assoupit. Un bus défraichi vient nous chercher sur le tarmac et nous emmène dans un bâtiment qui ne brille pas par sa modernité. On me remet une fiche à remplir rédigée en russe. Pas d'assistance pour en expliquer le contenu. Je demande de l'aide à mon voisin de vol, celui qui était devant moi et que j'ai entendu parler français. La fiche sert à contrôler les devises entrées et sorties et il suffit de la remplir approximativement, dit-il. Patrick a travaillé en Ouzbékistan l'année passée et il a encore ici une amie qui est venue le chercher. C'est une russo-ouzbèke sensuelle qu'il retrouve après avoir passé les contrôles. Je m'empresse d'accepter quand ils me proposent de m'accompagner à l'hôtel Lokomotiv. Ils m'escorteront à la réception pour m'aider à réserver une chambre avant de convoler vers leur nid d'amour. Patrick me laisse un numéro de téléphone en cas de problème.

8 heures 30, Hôtel Lokomotiv. J'aime bien ce nom. Architecture soviétique. Gigantesque, fonctionnel, neutre. Personnel pléthorique, soupçonneux et tatillon. Les chambres cependant sont confortables : moquettes épaisses, lits profonds, fenêtres ensoleillées, salle d'eau correcte. Mais le décor à l'extérieur est catastrophique, bon pour le tournage d'une série glauque. Une gare ferroviaire où grincent des trains poussifs et noirs, des bâtiments inachevés, squelettes pétrifiés dans la rouille ou en voie de désintégration, la toiture goudronnée d'un entrepôt d'où émergent des champignons d'aluminium bosselés. Tout semble sec, stérile, désolé et respire l'ennui. Cet hôtel ressemble, en plus désolé, à celui de Leningrad où j'étais descendu il y a dix ans de cela en venant d'Helsinki. Je me souviens m'être alors enthousiasmé devant l'efficacité du système soviétique quand, à peine installé dans ma chambre, le téléphone avait sonné et qu'une voix suave m'avait demandé si moi « avoir cigarettes et de où venir ? » « Frrrench man... » avait susurré encore la voix en exhalant un profond soupir. Ici aussi, chaque étage compte sa gardienne, mais elles ne connaissent pas un traître mot d'anglais et ne fument pas. La chambre est à 2
200 soums la nuit, soit environ 30 francs (un peu moins de 6 euros).


Ouzbékistan, Tachkent, Gare, Lokomotiv, © Louis Gigout, 1999
Tachkent. Vue de ma chambre de l'hôtel Lokomotiv.

La météo à la télévision ouzbèke.

Pourquoi cette police d'assurance bilingue ?


"Emportez un chapeau à larges bords et une bonne paire de bottes. Munissez-vous d'une grande bouteille d'eau et d'une certaine soif d'aventure. Vous partez pour le bout du monde", ainsi commence mon guide Olizane, le seul guide en français sur la région. L'auteur situe l'Asie centrale au sud de la Sibérie, au nord du Pakistan, à l'est du Caucase, à l'ouest de la Chine. Côté climat, il fait entre 45 et 49° en été. On ne s'attendra pas à des merveilles côté gastronomie. Le plat national s'appelle "plov". J'apprends aussi que j'aurais mieux fait de mémoriser quelques rudiments de russe avant de partir mais que je pourrai sans doute trouver une personne parlant l'anglais dans les rares agences Intourist. Quant aux tracasseries administratives, il n'y a plus de règles, qu'on se le tienne pour dit. Le guide contient peu d'informations pratiques mais beaucoup sur la culture et l'histoire. Mon Dieu, que suis-je venu faire ici ? J'ai pris un visa d'un mois et mon vol retour en conséquence. Sans connaître la langue, comment vais-je faire pour me déplacer, commander mes repas, trouver où me loger ? Je vais me retrouver comme le héros de ce roman de Ferenc Karinthy, Épépé, égaré dans une ville-monde inconnue dont la langue lui est parfaitement inintelligible. C'est à Bakou, que je devais aller. À cause d'un journaliste qui avait bourlingué dans les anciens états de l'Union soviétique quelques années après l'effondrement et qui en avait tiré un livre. Je voulais voir la mer Caspienne et ses îles de métal, gigantesques plates-formes offshore comportant logements, magasins et cantines. Bakou était pour moi synonyme d'absurde et d'extravagant, une ambiance de films de Kusturika. Le Caucase n'était pas les Balkans du cinéaste mais sonnait bon l'exotisme détraqué. Et puis Dascha était caucasienne. Elle était la baby-sitter d'une amie et je n'avais pas résisté à l'envie d'inviter cette étudiante en Lettres Modernes hyper brillante à aller voir une pièce de Jean-Christophe Bailly au grand désappointement de mon amie qui me fit le reproche de ne pas l'avoir invitée elle-même. La fille avait à ce point mis mes sens en désordre que la pièce de Bailly m'avait complètement échappé. Je m'étais mis dans le tête que le Caucase valait vraiment le détour. Mais c'est un ami d'Olivier qui m'a fait changer d'avis. Il m'a dit en gros « Qu'est-ce que tu veux aller foutre à Bakou ? C'est bien le dernier endroit où aller. C'est pollué par le pétrole et les pétrodollars et il n'y a rien à voir. Pourquoi ne pas aller plutôt à Samarcande ? »

Samarcande. Le nom avait aussitôt fait mouche. Il avait la saveur de l'aventure et de l'histoire comme Syracuse ou Alexandrie. Mais si j'étais sûr que celles-ci existaient, je l'étais moins pour la première. Pourtant je connaissais ce nom. Il m'était curieusement familier. Je pensais désert et oasis. J'imaginais une cité antique figée dans le temps et gardée par les minarets-sentinelles de ses mosquées. Une forteresse inaccessible interdite aux confins de la Perse. Peut-être un sultan et son harem où les femmes couvertes de soieries brodées d'or s'ennuient et trompent la langueur en se chuchotant des conspirations et en prêtant une oreille distraite à un joueur de sitar. Il devait y avoir des charmeurs de serpents et des caravanes conduites par des nomades enturbannés tenant en laisse des chameaux à la lippe dédaigneuse. Des parfums d'épices, des khalifes et des grands vizirs. L'endroit était connu de Marco Polo et Corto Maltese y avait promené son regard mélancolique de dandy aventurier. J'y verrais Shéhérazade, sortant toute décoiffée de la lampe d'Aladin et esquissant les ondulations d'une danse du ventre. J'y verrais bien Cendrars, à condition d'y mettre un bordel, un cabaret de bas étage, de la baston et la tombe d'un poète oublié. Bref, j'ai sorti mon grand Atlas et découvert que Samarcande se trouvait en Ouzbékistan, l'Ouzbékistan en Asie centrale, et je décidai illico de changer mes plans.



À peine mes affaire posées, je pars en cavale. Souvenir des villes de l'Est. L'architecture, la structure urbaine avec ses larges et rectilignes avenues bousculées, les arbres et les îlots de verdure rabougrie mal entretenus, les tuyaux (gaz ? chauffage urbain ?) cabossés, peu discrets, les devantures de magasins d'état, les palais prétentieux et les monuments au lyrisme lourd, la sécheresse et la chaleur étouffante. Elles se ressemblent toutes avec leurs stigmates et un air vague de fête foraine têtue. Toutes sont dotées d'une secrète signalétique et ne sont pas commodes aux étrangers. Tachkent encore moins que les autres. Mais peut-être sont-elles encore capables de séduire le voyageur pour peu qu'il soit patient.
 



Je rencontre Ika. C'est elle qui vient à ma rencontre, m'abordant en anglais et me proposant de me guider. Elle avait tout de suite vu que j'étais un touriste et compris que j'étais largué. Elle est brune, longs cheveux sombres, visage étriqué, corps menu, pas très grande, la peau légèrement grêlée. Elle m'apprend qu'elle d'origine polonaise par son père et ouïgoure par sa mère. Premier aperçu de l'important brassage de populations qu'a connu la région. Ika travaillait dans un grand hôtel qui a dû réduire ses effectifs faute de clients. Elle a un enfant et vit seule. Elle m'accompagne pendant une bonne partie de la journée. Avec son aide je change de l'argent au bazar Alaïsky. Quatre cent cinquante soums pour un dollar alors que le cours officiel est à cent cinquante. Ainsi qu'avait prévenu mon livre-guide, rares sont les gens qui parlent une langue occidentale. Ils ont déjà fort à faire avec l'ouzbek et le tadjik qui sont les langues vernaculaires et le russe, lange véhiculaire. 


Ika me fait visiter "Broadway", une rue piétonne qui part de la grande place où a été érigée une monumentale statue équestre du terrible Amir Timour, alias Tamerlan récemment promu héros national au secours d'un pouvoir en mal d'identité, voire de légitimité une fois déboulonnées les anciennes idoles par ceux-là mêmes qui les avaient longtemps exaltées. Broadway, c'est l'Arbat locale. On s'y balade en famille, on s'y montre, on y flirte, on y vend des souvenirs, on y peint des portraits, on y chante faux au karaoké, on y gratte la guitare et on y mange. On a le choix entre "chachlyks" et "plov". Plutôt plov à midi et chachlyks le soir. Autrement dit, un bol de riz huileux accompagné de quelques lamelles de carottes et d'un fragment de viande de mouton pour le plov, brochettes de viande de mouton et lard alternés pour les chachlyks. Ambiance de kermesse ou de foire du trône moins les nougats. Non loin de là se trouve une sorte de discothèque en plein air où l'on passe des scies internationales démodées dans lesquelles une chanson de Khaled. Un ragga rap répète inlassablement « On est pas fatigué ». En début d'après-midi, Ika me quitte. Je lui donne vingt dollars et lui dit qu'elle peut revenir demain si elle veut. Le soir, je retourne encore sur Broadway mais je rentre tôt, rompu, à mon bel hôtel Lokomotiv où je passe ma première nuit en rêvant du Transsibérien.


Ouzbékistan, Tachkent, Broadway, rue Sayligoh, © Louis Gigout, 1999
Tachkent, rue Sayilgoh (Broadway). Restaurant à chachlyks.

Ouzbékistan, Tachkent, Broadway, rue Sayligoh, © Louis Gigout, 1999
Le chien chanteur.

Ouzbékistan, Tachkent, Broadway, rue Sayligoh, © Louis Gigout, 1999
Spectacle tsigane.  

Ouzbékistan, Tachkent, Bazar Alaïsky, © Louis Gigout, 1999
Bazar Alaïsky, épreuve de force.

Ouzbékistan, Tachkent, Bazar Alaïsky, © Louis Gigout, 1999


Lundi, 12 heures 30. Ika n'est pas revenue. Je suis dans un petit parc situé au sud de l'ancienne place Lénine, en haut de Broadway. De ce côté-ci, la ville est verte. Une végétation qui semble pousser toute seule. De grands arbres, chênes et platanes, des buissons et des herbes plus ou moins sauvages. Des canaux d'irrigation qui se promènent partout, le long des rues, coupant parfois les trottoirs à angle droit, se ramifiant dans les pelouses. Je suis dans un quartier d'immeubles d'habitat collectif dense, comme dirait les urbanistes, des barres de cinq ou six étages, pas plus, séparées les unes des autres par de larges allées envahies par la végétation. Immeubles soviétiques déglingués, chaussées défoncées par le tremblement de terre de 1966 et oubliées par les brigades de la reconstruction. Tachkent avait alors été quasiment rasée et l'Union, soucieuse de montrer à l'Ouest la force du socialisme et le dynamisme et la solidarité de ses républiques, avait levé une armée de volontaires pour reconstruire la ville. Des volontaires qui, dit-on, ne l'étaient pas tous de leur plein gré. Je trouve du charme à ces quartiers. Cette végétation qui pousse ici sans mesure et sans tutelle est un bonheur. Elle envahit les passages, les porches, grimpe furieusement le long des murs, prodiguant une ombre bienfaisante, un rempart de chlorophylle contre le rayonnement d'un soleil implacable. Ce matin, une brise tiède rend l'air plus léger. Des enfants jouent à allumer un feu. Des oiseaux chantent. Une carriole chargée de pastèques tirée par un âne est arrêtée dans le passage. L'âne est rigoureusement immobile et le paysan a disparu. La végétation sauvage accentue cette impression d'abandon, de renoncement ou de temps suspendu. La ville semble échapper à l'organisation planifiée et à l'obsession de l'ordre et de la sécurité, à la rationalité obsessionnelle des aménageurs des villes occidentales où tout espace vert est non seulement tondu et peigné mais aussi grillagé et fermé au public passée une certaine heure de crainte que ne s'y déroule les orgiaques bacchanales qui font fantasmer les édiles. Il est jusqu'à l'aspect sauvage qui s'y cultive artificiellement, comme on arrange savamment un désordre organisé. Tout est devenu affaire de spécialiste. Pas question que les résidents se mêlent de l'arrangement du bosquet du coin.



Ouzbékistan, Tachkent, © Louis Gigout, 1999
Tachkent, quartiers populaires.

Ouzbékistan, Tachkent, © Louis Gigout, 1999

Ouzbékistan, Tachkent, © Louis Gigout, 1999

Ouzbékistan, Tachkent, © Louis Gigout, 1999




Mais parlons plutôt des filles. Des brunes à la peau mate et à l'iris d'un vert cristallin. Des grandes aux formes abouties, blondes, russes parfois mâtinées d'Asie. J'en ai repéré une, ce matin, dans une cafétéria, avec des yeux d'une obliquité extravagante. Je me souviens de nouveau de Dascha. Elles sont superbes mais excessivement condescendantes. Je parle des Russes. Celles qui travaillent sur les innombrables terrasses me regardent à peine quand je leur adresse la parole et me répondent d'un air blasé quelque chose que j'interprète comme « Je fais mon boulot, point. » Je sais bien que c'est un genre qu'elles se donnent. Elles sont habillées selon une mode occidentale démodée, jupe ultracourte, caraco, maquillage provoquant. Les vraies Centrasiatiques, Ouzbèkes, Tadjikes, Turkmènes, Kazakhes, Kirghizes, ont des manières plus discrètes et sourient plus volontiers. 


Le métro. Il y a deux lignes plus une en construction. Il est carrément soviétique, ce qui signifie stations larges et hautes décorées comme des palais, avec marbre, colonnades, stuc, globes lumineux et lustres scintillants.


Chorsu. L'emplacement de l'ancienne Tachkent. On ne peut pas parler, à propos de cet endroit, de vieille ville. Il n'existe pas de vieille ville. Les maisons sont modestes, les quartiers sont des villages aux murs de pisé avec cours et "chaïkhanas" (maisons de thé). Les hommes sont installés sur des tréteaux bas, des sortes de châlits ("tapchanes") dont le sommier est une simple planche recouverte d'un tapis. Ils s'y tiennent à demi allongés pour prendre le thé tout en discutant et en picorant des graines de tournesol. Non loin se trouve un parc désaffecté avec jeux et attractions foraines abandonnés. Un marché est installé sous un gigantesque dôme aux lignes audacieuses. Il y a là des centaines de mètres carrés d'étals de fruits, de légumes, d'épices, de riz et de viandes. Marchands de sodas et d'eau gazeuse additionnée de sirop. Chaque individu dispose, à portée de main, d'une intarissable théière et d'une tasse que l'on s'échange sans protocole. Plus loin se trouve la médersa (ou madrasa, école musulmane) Koukeltach construite en 1560. Elle fut reconvertie en siège du gouvernement local soviétique et semble être aujourd'hui désaffectée. Il n'en est pas de même pour la mosquée du même nom, dotée d'un dôme métallique étincelant comme un sou neuf.

Mardi. Je prends une photo du monument de l'Amitié entre les Peuples et du Palais de la Musique, avec la rue Furkat à l'extrémité de laquelle on aperçoit le dôme du marché. La ville, elle aussi, est le produit d'un long métissage. Rencontre avec la Chine et la Corée (dômes, îles aménagées sur le plan d'eau du parc Navoï, décorations kitch), avec la Russie orthodoxe puis soviétique (enluminures, architecture emphatique, allégories humanistes), avec les Turco-Mongols, Inde comprise (entrelacements, couleurs et tchatche dans les bazars, chatoiement des couleurs) et avec la Perse (raffinement, goût du livre, de la poésie et des sciences, calligraphies, architecture des mosquées et des lieux d'étude). Mais de qui tiennent les bâtisseurs de Tachkent ce goût pour les bassins et les jets d'eau ? Il y en a partout, du minuscule filet d'eau solitaire aux magistrales orgues (de Staline, allais-je ajouter) qui projettent des jets puissants dans lesquels se dessinent des arcs-en-ciel et qui font le bonheur des enfants. Dans le parc Navoï, le cœur vert de la capitale, se trouve un grand lac avec sa plage et ses pédalos, ses canaux et ses fontaines. 


Ouzbékistan, Tachkent, Palais de l'Amitié entre les Peuples, rue Furkat, © Louis Gigout, 1999
Palais de l'Amitié entre les Peuples, rue Furkat.

Ouzbékistan, Tachkent, Palais de la Musique, rue Furkat, © Louis Gigout, 1999
Palais de la Musique.

Ouzbékistan, Tachkent, motif sur colonne, © Louis Gigout, 1999
Motif sur fragment de colonne ancienne.



La gare de Tachkent est impraticable sans interprète. Il y a bien quelque part en ville un bureau des chemins de fer où j'ai pu rencontrer quelqu'un connaissant quelques rudiments d'anglais, mais il m'a dit de revenir demain et montré la sortie en répétant « Go ! » ce qui m'a contrarié. C'est donc en bus que je partirai demain matin pour Samarcande bien qu'il faille pour cela se rendre à la gare de Sobir Rakhimov qui se trouve au diable Vauvert du terminus de la ligne rouge du métro. Tachkent, de toute façon, nous nous reverrons à la fin de mon séjour.

Retour au marché où m'avait conduit le jour de mon arrivée. Impossible de retrouver l'échoppe où j'avais changé des dollars. J'avais pourtant fait attention de bien mémoriser l'endroit et voilà que je ne m'y retrouve plus. Je reconnais la grande halle centrale et les boutiques latérales mais tout me semble disposé différemment. Des types qui piétinent à une des entrées me proposent le deal. Méfiant, je refuse tout d'abord. Puis, devant l'impossibilité de retrouver mon premier changeur, je reviens vers eux. Tout se passe bien. Ils font ça sans se cacher et me laissent le temps de recompter la liasse que je reçois en échange d'un billet de 20 dollars.

La place Amir Timour est le centre de Tachkent. Je dîne à une terrasse située au bord du bassin à deux pas du grand Hôtel Uzbekistan. Brochettes délicieuses, salade, bière d'importation. La serveuse est russe, jolie et renfrognée. Il souffle ce soir un vent assez fort qui fait s'envoler les parasols et dévier les jets d'eau arrosant convives et passants. La pluie commence à tomber alors que je regagne mon hôtel.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire